top of page

Catégorie 3.1

Scènes Lyriques d'après Lars Noren

Catégorie 3.1 Le Jeune - Le SchizophrèneGrégoire Letouvet / Lars Noren
00:00 / 09:47

J'ai découvert en 2013 cette pièce au Théâtre de la Colline dans la mise en scène de Kristian Lupa « Salle d’Attente ». Catégorie 3.1 est un texte fleuve de Lars Noren écrit en 1997, en réponse à la crise sociale et économique de la Suède des années 90. Sur le fil entre documentaire et fantasme, il dépeint avec lucidité et générosité la grande communauté de la marge, forçant le regard du lecteur et du spectateur. Dans une salle désaffectée, un squat ou peut-être un parking, se retrouvent drogués, prostituées, alcooliques, simples chômeurs ou étudiants, laissés pour compte par la société.

 

La pièce alterne brefs dialogues et monologues. Les micro-drames de Catégorie 3.1 offrent une parole déployée, foudroyante, des scènes improbables d'une stupéfiante humanité. À travers des échanges nébuleux, des appels au ciel et des disputes philosophiques de squat se dévoile la manière singulière dont ces hommes et ces femmes sont liés, malgré tout. Cette pièce donne à voir pour moi la force mystérieuse et restreinte de l’amour, qui façonne l’espèce humaine.

J’ai toujours été fasciné par la manière dont une prosodie, une mise en musique de mots et de phrases ont cette capacité à « révéler » un personnage, une figure, dont le chanteur lui-même n’a pas conscience. Une absence psychologique de l’interprète que théorisait Brecht dans son terme de distanciation. Je chercherai une verticalité de l’émotion, un jaillissement radical du mot, dans la langue et la rythmique – ce que m’inspirent notamment la lecture des pièces de Sarah Kane, Beckett et Büchner.

 

Catégorie 3.1 traversera et revisitera plusieurs styles vocaux : l’air, le récitatif, la chanson, le chœur, le slam… en explorant la boucle, les cris, les chuchotements, la simultanéité, le mélange entre voix directe et voix off…

 

Très marqué par le traitement de la voix dans les dernières œuvres de Gérard Grisey, je suis attaché à l’idée que le chant puisse avoir une certaine indépendance musicale : j’aime travailler sur de courtes mélodies intrinsèques, des modalités motiviques furtives, ou des modes de jeu récurrents qui caractériseraient tel ou tel personnage.

 

Une pensée d’André Breton me guide dans le geste artistique global que j’aimerai donner à voir dans cette chronique burlesque et tragique qu’est Catégorie 3.1 : la conversion du signe de la douleur, comme condition nécessaire à la naissance d’un événement et d’une révolution intérieure.

 

« C’est là, à cette minute poignante où le poids des souffrances endurées semble devoir tout engloutir, que l’excès même de l'épreuve entraîne un changement de signe qui tend à faire passer l’indisponible humain du côté du disponible et à affecter ce dernier d’une grandeur qu’il n’eût pu se connaître sans cela. (…)

Il faut être allé au fond de la douleur humaine, en avoir découvert les étranges capacités, pour pouvoir saluer du même don sans limites de soi-même ce qui vaut la peine de vivre. »

André Breton, Arcane 17

bottom of page